L’avalanche des infractions, des gaspillages, des abus et des fraudes révélés par les rapports des corps de contrôles, en l’occurrence par la série de rapports de 2015, 2016 et 2017 de la Cour des Comptes devrait conduire à des réflexions beaucoup plus stratégiques d’une part, sur l’ajustement et la conformité des politiques de transparence, d’intégrité et d’éthique aux normes et bonnes pratiques internationales reconnues en matière de gouvernance de contrôle et d’autre part, sur le caractère désuet du management public encore en vigueur. Aux antipodes d’un nouveau management public, survit un management public et une gouvernance de contrôle surannés non réajustés aux bonnes pratiques internationales ainsi que le silence coupable de la voix au sommet qui doit impulser, avertir, pousser à l’innovation et permettre aux talents des professionnels à s’extérioriser. « Tone at The Top », un chainon manquant, peu désiré. Pourtant, c’est le prix d’un leadership transformationnel prouvé et sincère…
Aux antipodes d’un nouveau management public : la survie de l’ancien management public suranné
Depuis les années 80-90, on parle du nouveau management public (NMP) et même avant, avec l’affirmation du « managérialisme » qui préparait un tel mouvement et ce merveilleux texte de Woodrow Wilson, « The study of public administration ». Il se trouve que la gestion publique en vigueur dans nos contrées est encore ancienne ; vieillie, en dépit des termes renouveau, modernisation, gestion axée sur les résultats, etc. En fait, les slogans et ses outils, en eux-mêmes, ne suffisent pas, ils ont besoin de leadership, de leaders au sommet. Mais prévaut encore cet étrange mélange de syntaxe attestant du peu de maîtrise de certaines disciplines et les errements qu’on peut retrouver jusque dans les étranges appellations des structures ministérielles : trop de choses attestant de l’incohérence stratégique, à l’extrême peu visionnaire.
Par ailleurs, les vrais spécialistes savent que d’une part, l’audit interne efficient requiert « l’auditabilité », d’autre part que la prévention et la lutte contre la fraude et la corruption, la prédictibilité et enfin que l’évaluation des interventions publiques, « l’évaluabilité » : un ensemble de prérequis loin d’être effectifs. Au fond, à part, quelques périodes glorieuses de Senghor avec son duo BOM et IGE qui lui tenait tant au cœur, ces conditions ne sont pas réunies. Ce n’était pas pour autant l’ère du nouveau management public, mais il avait compris l’importance de tels enjeux et s’était engagé lui-même : « Tone at The Top » avant l’heure, dans ce contexte…
Les choses ont évolué et ont tant changé, quelques décennies plus tard. Sans rentrer dans tous le processus historique dans le cadre d’un sommaire article, retenons qu’aujourd’hui, les normes et bonnes pratiques reconnues de maturité d’un management public pertinent invitent à refonder le système au moins à cinq niveaux:
1. La clarification des interactions entre la gouvernance, le management et l’assurance…
2. Le cycle intégré de planification stratégique et de management de la performance avec la généralisation des plans stratégiques, des plans annuels de performance, des systèmes, outils de mesure des performances, de rapports de performance (tableaux de bord, rapports, déclarations de performance, etc.). Par exemple, aux Etats Unis, ce cycle fait l’objet de la loi intitulée Government Performance Results Act…
3. La gestion au quotidien des contrôles internes au sens moderne du terme où l’entend par exemple des modèles comme COSO ; en somme un système où l’environnement de contrôle est ajusté aux normes pour formaliser…
4. un management permanent des risques au niveau de tous les cycles et systèmes avec des processus d’identification, d’évaluation, de mise en place d’activités de contrôle, de suivi des risques;
5. une forte volonté de « compliance » dont les constats mis en évidence par la Cour des comptes et autres rapports de contrôle démontrent que c’est le cadet des soucis de ces politiques et de cette minorité de gestionnaires investis de mandats publics…
Parallèlement, prévaut la difficile survie d’une gouvernance de contrôle agonisante dont seule des mesures d’ajustement impulsées par un leadership stratégique au sommet capable d’élever la voix peut impulser la résurrection.
L’agonie de la gouvernance et de l’environnement de contrôle : l’espoir de la résurrection
Si les réformes préalables à l’auditabilité, à la prédictibilité et à l’évaluabilité ne sont pas encore menées, une vraie gouvernance de contrôle, porteuse de changements et de valeur ajoutée est impossible, en tout cas inefficient. A cet égard, s’agissant des institutions et des organes de contrôle, une analyse stratégique fondée sur une approche portefeuille d’activités convainc qu’il existe trois métiers fondamentaux : l’audit d’une part, la prévention, la détection des fraudes et la lutte anti-corruption, d’autre part et enfin, l’évaluation des interventions publiques. On pourrait y ajouter le conseil, mais celui-ci est transversal et est présent dans chacun des métiers précités. Or ces métiers doivent s’appuyer non seulement sur un management public réformé, mais aussi sur un environnement de contrôle rénové. A cet égard, le Président de la République a demandé à l’Inspection générale d’Etat d’étudier l’environnement de contrôle. Mais prend-il la juste mesure ce que cela signifie aujourd’hui le terme « environnement de contrôle » au sens des normes et bonnes pratiques internationales, notamment du COSO, de Internal Audit Institute, etc.? En fait, celui-ci suppose une multitude de diligences qui va au-delà des organes de contrôle et qui n’exonère pas les responsables au sommet de certains impératifs, car dans un tel environnement figurent:
les leaders, les gestionnaires, l’assurance et la gouvernance qui doivent eux-mêmes assumer les rôles d’influenceurs et d’agents de plaidoyer, incarner au quotidien une vision élevée de l’éthique, d’intégrité et de transparence,
ceux qui ont le devoir et l’obligation d’officialiser dans leurs discours, décisions et pratiques de tous les jours l’importance du contrôle interne, des audits, des évaluations et enquêtes ; on raconte que le premier Président de la République, Léopold Sedar Senghor, savait bien le faire dans ses discours lorsqu’il expliquait ces lectures de week-end consacrées à sa poésie et aux rapports de l’IGE et du BOM ; lorsqu’il convoquait l’IGE à la salle de banquet pour échanger de certains problèmes ; il sut aussi dire non à certaines autorités politiques de son camp récalcitrantes aux conclusions de tels rapports qui furent ainsi sanctionnées, un rappelé à l’ordre, un autre démis ;
le gouvernement, voire la gouvernance, au quotidien, doit tourner les anciennes pages de la gestion publique et de la gouvernance de contrôle par tout un système et tout un environnement à construire constitués de codes, de chartes et de messages au quotidien sur l’éthique et l’intégrité, sur la priorité du contrôle interne, de mesures disciplinaires effectives, mais alors la légitimité du message se pose ;
cette gouvernance doit assumer le traitement courageux des comportements non éthiques ; affirmer son soutien aux réseaux et aux mécanismes de surveillance, donner la preuve de son adhésion à la gestion du mérite, donc appliquer des pratiques modernes de nominations/recrutement, de gestion des postes de travail, des connaissances, allouer les ressources permettant aux processus de contrôle de s’affirmer;
un leadership et des styles de management qui valorisent les compétences de l’encadrement supérieur et des instances de gouvernance (conseils d’administration, top management, comités de surveillance, comités d’audit, des risques, d’éthique, etc.) et qui prouvent ainsi une attitude positive à l’égard de l’information sur la surveillance et les surveillants, la planification stratégique des ressources humaines avec les défis liés de gestion du capital humain, l’acquisition des compétences, la gestion et la surveillance des résultats.
La liste est longue ; ce qui précède n’étant qu’un aperçu infime des normes et directives que l’on retrouve dans les manuels et guides de contrôle interne et de gestion des risques dans les pays ou le Nouveau management public a un sens et atteint un niveau avancé, voire élevé, d’effectivité…
Au total, l’environnement de contrôle, c’est le premier niveau, c’est aussi tout cela : il est en amont des audits et des métiers connexes tout en étant concomitant au management au quotidien et à la gouvernance des organisations. Au sens moderne du contrôle interne, il nous invite à considérer que les managers n’ont pas à attendre l’arrivée des auditeurs, des enquêteurs et investigateurs, des évaluateurs pour s’ajuster. Si la bonne normalisation est faite par des instances appropriées (qui n’existent pas), les audits, les évaluations, les investigations et les enquêtes portent sur des systèmes, des modèles, des outils, des processus, des pratiques, des environnements formalisés de gouvernance, de management des risques, des contrôles internes, des modi operandi, etc.
CONCLUSION
Force est de constater que les conditions précitées ne sont pas réunies, ne l’ont jamais été, sous réserve des balbutiements de l’engagement senghorien envers la primauté du contrôle et des contrôleurs (IGE, BOM) qu’il pensait devoir être au sommet de la hiérarchie, de quelques avancées de la politique de modernisation des années 1990 auxquelles nous devons le Médiateur de la République, la première affirmation d’un processus de simplification des procédures administratives, l’idée d’un management public fondé sur la déconcentration et la décentralisation, une réforme de la formation des fonctionnaires notamment de l’ENAM …. Du Président Diouf aussi dont il est sûr qu’il lisait les rapports de la première ligne à la dernière avec ses annotations parfois enthousiastes . Mais hélas, tout se meurt… Les stratégies affirmées de modernisation de l’Etat, de renouveau du service et j’en passe, ne sont devenues que des mots, des sortes de slogans. Il faut beaucoup plus encore :
un sommet désaliéné de la politique politicienne qui élève la voix, donne l’exemple, apporte la preuve de son propre engagement, de sa propre intégrité;
un leader qui croit à l’une de ces fameuses lois du leadership transformationnel qu’est la loi du cercle rapproché: « dis-moi qui tu hantes, je te dirais qui tu es », conscient que « Un est un tout petit nombre pour atteindre la grandeur », que seul, on n’y arrivera pas.
Des termes comme modernisation de l’état, renouveau du service public, rationalisation des effectifs et des structures, contrôle d’État ou gouvernance de contrôle, gestion axée sur les résultats et autres seront tout au plus des slogans et modes de l’air du temps. Au demeurant, les vrais professionnels savent que dans l’idéal, avant d’auditer quoi que ce soit, ces conditions d’auditabilité, d’évaluabilité, de prédictibilité auraient dû être réunies. Mais ce sujet vaste est du ressort des spécialistes plutôt que des bavards généralistes ou politiciens… Il faut préparer une nouvelle génération de managers publics, de spécialistes de la gouvernance de contrôle, de leaders éthiques et transformateurs, voire transformationnels… Cela est important, car par exemple si d’importants changements ont eu lieu dans ce domaine aux Etats-Unis, depuis très longtemps, on le doit en grande partie aux instances de contrôle et d’évaluation du secteur public qui ont été les véritables machines de la réflexion stratégiques et prospective au-delà de leurs fonctions d’audit. A titre d’exemple:
le Général Accountability Office, cet énorme bureau d’évaluation et d’études et le Bureau du Management et du Budget au niveau du Président des Etats Unis eut cette grande vison de changer son nom pour passer de General Accounting Office à General Accountability Office ;
au Canada aux Bureaux de Vérificateurs généraux au Canada sans lesquelles les lois sur l’administration publique, la gestion axée sur les résultats ne seraient peut-être pas ce qu’elles sont aujourd’hui ;
l’immense travail accompli par le Bureau du Contrôleur général en Nouvelle Zélande, etc.
Sans eux la gestion axée sur la performance et les résultats, le management des risques dans le secteur public, l’internalisation des normes et bonnes pratiques internationales de l’audit interne, des normes et guides de contrôle interne comme COSO et assimilés au sein des services publique, l’appropriation des normes d’audit interne et le fonctionnement des comités d’audit au sein de l’Etat, n’auraient probablement pas été ce qu’ils sont aujourd’hui.
Voilà, entre autres, à quoi sert ou devrait servir la gouvernance de contrôle, les instances de la gouvernance de contrôle devant comporter en leur sein des spécialistes des normes et bonnes pratiques, de véritables spécialistes du diagnostic, de la surveillance et de la prospective, des esprits élevés triés sur le volet par ce fameux concours aujourd’hui enterré ouvrant la possibilité pour l’exécutif politique de nommer des profils peu formés ou pas du tout certifiés à ces nouveaux impératifs et apparemment ne consacrant plus ces enquêtes de moralité qui pouvaient décider du sort d’un candidat. Il faut aussi des recherches endogènes décomplexées libérées des tutelles coloniales, linguistiques ou des barrières psychologiques et ainsi tourner la page d’une gouvernance de contrôle dépassée, peu conforme aux critères de maturité, aux normes et bonnes pratiques internationales de management public, de gouvernance, de surveillance…
En fait, nous avons aussi notre responsabilité d’électeurs, car c’est bien nous qui choisissons ceux susceptibles d’élever la voix, ces gens mandatés pour donner vie au credo « Tone at The Top » que nous remplaçons par d’autres de mêmes acabits lorsqu’ils nous déçoivent. Trop facile… A qui la faute ?
Abdou Karim GUEYE
Inspecteur général d’Etat à la retraite. Ancien Directeur général de l’ENAM. Consultant international en gouvernance, management public, contrôle interne, management des risques, planification stratégique et gestion des performances. Spécialiste en normes internationales d’audit interne, de management des risques et de contrôle interne. Certified Fraud and Forensic Investigator. Conseiller en Gouvernance publique du Président de l’ACT, Abdoul Mbaye
Aux antipodes d’un nouveau management public, survit un management public et une gouvernance de contrôle surannés non réajustés aux bonnes pratiques internationales ainsi que le silence coupable de la voix au sommet qui doit impulser, avertir, pousser à l’innovation et permettre aux talents des professionnels à s’extérioriser. « Tone at The Top », un chainon manquant, peu désiré. Pourtant, c’est le prix d’un leadership transformationnel prouvé et sincère…
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L’environnement de contrôle institue et organise les processus, les procédures, la discipline et la conformité aux lois, règlements, directives et instructions et constitue ainsi le préalable au fonctionnement adéquat d’autres composantes de management stratégique, organisationnel et opérationnel. Sa crédibilité dépend de l’engagement au sommet de leaders soucieux de pérenniser l’importance du contrôle interne et des normes de conduite attendues du personnel. En effet, l’environnement de contrôle englobe l’intégrité, les valeurs d’éthique, la transparence et l’adhésion à la compétence, les modalités de dévolution de l’autorité et des responsabilités, d’organisation et de développement de talents et des ressources humaines, l’intérêt accordé à la gouvernance et à la surveillance, ainsi qu’aux organes qui l’incarnent.
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